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Le fort de V... (je ne dis pas son nom tout de suite) fut construit entre 1876 et 1882 sur le système Séré de Rivières dans le cadre de la défense de Paris. Il fut un point stratégique pendant la Bataille de la Marne en 1914, puis fut brièvement utilisé en 1939 (comme Batterie de DCA) avant d’être pris par les Allemands qui s’en servirent comme dépôt de munitions jusqu’en 1944 - où ils firent sauter les munitions avant de se sauver.
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Le 3 juillet 1952, l’Assemblée Nationale adopte le «Programme pour la réalisation du plan de développement de l’énergie atomique 1952-1957». En 1955 une équipe d'ingénieurs militaires s'installe donc là-bas pour faire du vieux fort un centre d'études qui commença à fonctionner dès 1956.
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Que faisait-on là-bas ? Comme précisé dans la convention de juin 1955, il s'agissait d'un laboratoire où l'on y effectuait des «Etudes sur les poudres et explosifs, utiles à la réalisation d’armes nucléaires». Lorsque le Général de Gaulle décida qu'il fallait se doter de l'arme atomique, le CEA de V... (patience) fut fondé, et on se mit à travailler avec de l'uranium naturel ou appauvri (qui permettent de déclencher une réaction nucléaire).
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Ces essais appelés «tirs à froid» avaient lieu dans des salles plus ou moins grosses, et même en plein air dans les fossés du fort. Ces explosions dispersaient des morceaux d'uranium. Les divers déchets issus des expériences étaient ensuite incinérés à l'air libre et des rejets de mercure ont été effectués dans le réseau des eaux usées avoisinant. En ce qui concerne les explosions ayant eu lieu dans les fossés, les lieux de l'impact étaient lavés aux grandes eaux, puis dispersées dans de profonds puits de lavage.
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En 1996, Chirac annonce la fin des essais nucléaires. Le personnel du CEA de V... se retrouve alors en sous-effectif, et pressés de finir leur travail. Cette pression fit qu’une nuit de 1996, toutes les règles de sécurité ne furent pas respectées : il y eut un gros flash, et le lendemain, l’herbe autour du site était bleue. On trouva également sur les feuilles des arbres (celle dont la face était tournée vers le site) une couche blanchâtre. Le Maire demanda alors des comptes et les gens du CEA de V... avouèrent qu’ils travaillaient sur du nucléaire.
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Le CEA de V... ferma ses portes le 31 décembre 1997. Mis aux enchères, une commission d’enquête fut alors créée afin de déterminer si le Fort était en bon état. Normal. Sauf que le Commissaire-Enquêteur de cette commission était un ancien du CEA de V... donc juge ET partie. C’est là que les choses (qui n’étaient pas jolies jolies) commencèrent à devenir franchement glauques.
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On apprit que du béton avait été coulé dans trois (sur neuf) des fameux puits de lavage (contaminés), ce qui rendait toute expertise impossible quant à l'impact de ce qui se passait au CEA de V... sur la nappe phréatique. 35m de béton, c'est dur à casser.
Mais puisque le Commissaire-Enquêteur nous dit que tout va bien, pas de raison de s’en faire pas vrai ? D'autre part, nulle trace dans le rapport sur la mesure de radioactivité des ruisseaux, des sources, des cours d’eau ou des nappes sur site (et hors site). Rien non plus sur la migration des effluents radioactifs rejetés dans les puits perdus. D'autre part, le Commissaire-Enquêteur donna quelques croustillants conseils dans son rapport. Ces conseils, on peut les résumer à : «Faites ce que vous voulez, mais ne construisez ni école ni habitation. Et si il vous arrivait de creuser, arrosez tout ça à grandes eaux, et faites en sorte que les ouvriers soient isolés des gravats et ne respirent pas les poussières.» Rassurant. |
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Ce que l’on sait (grâce aux gens qui sont entré dans la zone munis d’un compteur Geiger), c’est que dans certaines zones du site la radioactivité dépasse les 100 ou 200 becquerels - au lieu d'une dizaine de becquerels naturellement. En soi, ce n'est pas énorme, mais dès qu'on commence à mesurer les taux du sous-sol, ça fait peur.
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Lorsque «l’affaire» fit un peu parler d’elle, le CEA (l'organisme) consentit à réaliser une dépollution de 1000m² - mais sur seulement 50 cm de profondeur. Pour ce qui est des puits bouchés, l’expertise est difficile (c’est dur de savoir ce qui se passe sous 35 mètres de béton), et «en principe», un puits (un seul, le P3) sera bientôt expertisé pour voir si il a pu contaminer la nappe phréatique.
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Le site sera gardienné jusqu’en avril 2009. Son gardiennage n'aura pas été de tout repos. Le site était trop grand, les gardiens se faisaient agresser par les gens du voyage qui faisaient des pieds et des mains (clotûres défoncées etc) pour entrer sur le site et piquer tout ce qui était écoulable... | |||
A peine les gardiens partis, l’ensemble du site sera ratissé pendant une année entière. Là où c’est rigolo, c’est qu’on ne sait pas si les voleurs étaient au courant qu’ils emportaient des trucs potentiellement contaminés (plaques d’égouts, portes blindées, protections des fameux puits). Je vous laisse imaginer ce qui se passe quand un gars refourgue du métal contaminé à droite à gauche (ainsi que les revendeurs peu scrupuleux qui se fichent bien de connaître la provenance du matos). Il a fallu que l’association Robins des Bois bouge le gouvernement pour que finalement l’armée vienne déloger les campeurs. |
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Dernière anecdote en date : le site est riche en gypse (ça sert à fabriquer le plâtre). Une entreprise de Placo-Plâtre, installée depuis un moment, exploite ce gisement dans une carrière à ciel ouvert juste à coté du Fort (celle à gauche du site sur la photo satellite plus bas) mais cette carrière tend à s'épuiser. Or, le sous-sol du site, jamais exploité, est riche en gypse.
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L'entreprise a d'abord refusé de racheter le site parce que trop cher, puis parce que trop contaminé, avant de finalement l'acheter quand même en disant qu'ils ne fabriqueraient pas de plâtre à partir de ce gypse. Le site fut vendu à 10€ le mètre carré (oui oui) et l'entreprise fit ses propres relevés qui confirmèrent que le sous-sol (celui dans lequel se trouvent les fameux neuf puits de lavage) était bien contaminé. Le gypse de la carrière à ciel ouvert est théoriquement clean, mais comment savoir que cette entreprise ne fabriquera pas de plâtre à partir du gypse contaminé ? Et surtout, il est où ce site hein ?
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La zone contaminée a une taille de 50 hectares et couvre également les communes de Courtry (Seine-et-Marne) et de Coubron (Seine-Saint-Denis). La DREAL(Direction Régionale de l’Environnement, de l'Aménagement et du Logement) a officiellement reconnu que la zone était contaminée par de l'uranium naturel et appauvri. «Les maladies thyroïdiennes ont doublé en dix ans» nous dit Ludovic Toro, médecin généraliste à Coubron.
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En résumé, on fait tout un foin du nuage de Fukushima, enfin ce qu’il en reste (il s’est dispersé, il n’ya pas UN nuage, mais plein de petits éparpillés) alors qu’à une dizaine de kilomètres de Paris, sous une grande colline, y’a des puits contaminés qui ont du bien saloper les nappes phréatiques des environs. Sympa hein ?
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Et encore, là on ne parle que de ce qui a pu être mis au jour «grâce» à certains événements (herbe bleue, fermeture du site, anciens du CEA de Vaujours qui se mettent un peu à parler etc). Qui sait s’il n’y a pas d’autres sites comme Vaujours un peu partout ?
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De nouvelles informations sont apparues :La CRIIRAD a validé les mesures faites par l'Association l'Effort de Vaujours : le taux de radiation sur le site est 30 fois au-dessus de la norme. Jusqu'à présent, Placoplatre/St Gobain avait toujours nié la contamination du site. Autre information : Dès 2003, le CEA avait préconisé une interdiction totale d'activité. Les Prefets de l'époque ont tout de même validé la vente du site. Etaient-ils au courant ? Sont-ils passés outre ? Cliquez ci-dessous pour un article instructif (daté de 2011).
Mise à jour du 6 Mai 2015 : L’état donne son feu vert à Placoplâtre pour démolir le Fort de Vaujours (et ainsi procéder à l’extraction du gypse (contaminé) sur place). Pour plus d’informations sur cette information qui fait froid dans le dos, rendez-vous ici. |