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La magie du cinéma c’est quand on oublie qu’on est dans une salle, avec d’autres gens, et qu’on regarde un assemblage d’images montées, avec de la musique, des effets spéciaux... La magie c’est quand on voit une scène avec des personnages, et qu’on oublie que ces personnages sont juste dans un cadre, filmés par une caméra, avec derrière une dizaine de personnes occupées à éclairer la scène, à vérifier que y’a pas de souci technique etc. La magie c’est quand on oublie que tout ce petit monde fait semblant.
Dit comme ça, ça fait un peu cul-cul, mais c’est ce qui fait qu’on peut très bien rester insensible au film qui se déroule sous nos yeux, ou à l’opposé, se retrouvé happé dans l’image. Reste ensuite à savoir si on a été happé pour des raisons valables. Je sais que, souvent, quand je me retrouve à aimer un film, j’ai une petite voix qui me dit à la fin « Tu aimes ce film pour ce qu’il est ? Ou parce que c’est machin qui l’a réalisé ? » et finalement je me rends compte que je suis bourré d’à priori (quels qu’ils soient).
C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, quand je vais voir un film, j’essaye de virer le plus d’à priori possible : ne pas se soucier de qui a réalisé, ne pas se soucier de qui joue dedans, ne pas se soucier de qui a fait la musique etc. J’essaye de ne pas me soucier de tout ça. Bien sur, c’est difficile de faire cet exercice, on y arrive jamais totalement, peut-être que je me prends la tête pour rien, mais ça me semble une manière honnête d’apprécier un film : ne pas s’embarrasser de préjugés, faire un effort d’ouverture d’esprit, « être en état de disponibilité, pour mieux recevoir », comme dit un compositeur dont j’aime une bonne partie du boulot.
Et dans le cas de Black Swan, je suis très heureux car si je l’ai aimé, ce n’est pas parce que TRUC joue dedans. Ce n’est pas parce que c’est BIDULE qui l’a réalisé. Ce n’est pas parce que y’a marqué « SUBLIME » sur l’affiche. Ce n’est pas car tout le monde m’en a dit du bien. Pourquoi j’ai aimé Black Swan ? Pour diverses raisons.
D’abord, l’influence du film « Le Locataire » de Polanski. On pourrait aussi parler de « Répulsion » du même réalisateur mais là je penche plus du coté du Locataire. Ca fait du bien de retrouver le genre d’émotions que dans ce (fabuleux) film de Polanski. Cette sensation d’enfermement, ce malaise dans l’appartement, comme si il s’y était passé quelque chose de très grave, mais que c’était refoulé, enfoui. Ce malaise est bien sur insufflé par la relation entre Nina et sa mère, ainsi que les hallucinations.
Ensuite, on sent tout au long du film qu’il y a un lourd passif derrière cette relation, mais jamais on ne nous l’impose lourdement. Même si pas mal d’indices sont là le film s’attarde là-dessus juste ce qu’il faut. Pas de grosse scène choc où la mère hurle que son rêve a été brisé, pas de gros pétage de plomb avec méga-révélation etc. Ici, c’est dosé comme il faut, en nuances, et quelques questions restent en suspens. J’aime bien ressortir d’un film en me posant des questions.
Pour continuer dans la nuance, c’est plaisant de voir Vincent Cassel dans un rôle à plusieurs angles. J’étais assez surpris de le voir au début assez dur, puis plus amical, puis glaçant, puis séduisant, puis complètement froid, puis compréhensif… Tout ça dans un même film, c’est beau et assez rare chez lui.
L’influence de Suspiria m’a bien plu également, même si elle n’est pas aussi voyante. Suspiria se passe dans une école de danse, il s’y passe des choses étranges... Dans Black Swan la mère me rappelle beaucoup la Professeur de danse du film d’Argento. Je ne sais pas si c’est voulu, mais il y a dans Suspiria une présence maléfique qu’on retrouve un peu dans la mère de Nina. Bon ok j’extrapole surement un petit peu.
En fait il y a un peu de plein de choses dans ce film, mais au risque de trop me focaliser sur un seul aspectdu film au détriment des autres, je n’arrête pas de repenser au travail accompli par Natalie Portman. Je ne pense pas trop me tromper en affirmant qu’elle tient le film à elle seule. Elle arrive à faire passer pas mal de choses malgré son allure de petite poupée fragile qui devient de moins en moins fragile à mesure qu’elle brise sa coquille. Dans son désir de perfection, par exemple : on ne la voit pas dire à chaque scène « Je veux être parfaite ». Elle le dit à quelques occasions dans le film, et on le sent dans son regard dans les autres scènes. C’est sympa quand ce genre de chose est exprimé par la façon de bouger, de regarder, et pas forcément par les mots - même si bien sur on n’échappe pas à quelques scènes d’exposition où ce désir est clairement décrit.
C’est rigolo car si j’ai bien un reproche à faire à Natalie Portman, (et je ne suis pas le seul dans ce cas) c’est souvent son manque d’expressivité. Ici, coup de chance, il joue pour elle, comme on le voit dans les scènes où Nina essaye tant bien que mal d’incarner le cygne noir.
C’est intéressant, cette idée de tenter à tout prix d’accéder à son but, ça a déjà été fait dix mille fois au cinéma mais ça me touche pas mal cette fois-ci. Le fait d’aller au bout de son rêve et d’y arriver au prix d’un immense sacrifice... Il faut la voir lors de la scène où elle se transforme en cygne noir. La caméra la suit tandis qu’elle est habillée par un subtil sourire en coin, et voilà que des plumes lui poussent sur ses bras au fur et à mesure qu’elle danse. C’est on ne peut plus premier degré (il y a la même chose dans le Château Ambulant, dans un registre différent) et pourtant ça marche.
Et là où c’est fort, c’est qu’on se doute bien qu’à mesure que Nina se libère (ce qui est pas mal), elle perd de plus en plus pied avec la réalité (ce qui est déjà moins marrant), et on bascule alors du coté du revers de la médaille. Rien ne sera plus comme avant (ne pas pouvoir revenir en arrière, les regrets, les remords, encore des thèmes que j’aime bien) mais on la suit quand même, elle est si seule sur cette scène si grande, seule face au public (celui du théâtre, mais aussi celui du cinéma), seule face à son reflet, et la musique monte, monte, monte, et la chanson «Les oiseaux de malheur» de Léo Ferré résonne alors en moi, avec cette ligne, si belle : « Viens, mon bel oiseau du malheur ». Oui, Nina va se perdre, elle n’en réchappera pas, mais quelle beauté dans le geste.
Un bon film, c’est souvent un film dont on se souvient quelques jours après. Et qu’on a aussi envie de revoir pour le creuser, pour y trouver d’autres indices, des réponses. Ou tout simplement pour s’y baigner car on y trouve une beauté qu’on ne trouve pas ailleurs. Black Swan est une belle descente aux enfers comme je n’en avais pas vu depuis longtemps. J’ai hâte d’être dans quelques années pour voir si je l’aime encore.